De l’animal sauvage à l’animal médiateur

Il y a fort, fort longtemps, nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs. Ils étaient nomades et vivaient en groupe. Cette période historique correspond au Paléolithique et s’étend d’environ -800 000 à -6 000 avant J-C[1]. La sédentarisation des Hommes marque le début du Néolithique, les premiers villages apparaissent, accompagnés des premiers champs et enclos. Cela marque les débuts de la domestication. Au fil du temps, le sanglier deviendra cochon, l’auroch deviendra bœuf, le mouflon deviendra mouton et le bouquetin deviendra chèvre.

Des animaux qui évoluent selon nos besoins

Au départ, les animaux étaient domestiqués pour leur utilité : le sanglier pour sa viande, l’auroch pour sa force, le chien pour sa protection. Petit à petit, les Hommes ont sélectionné les caractères les plus intéressants pour eux. Prenons l’exemple du sanglier. Seuls les plus gros et gras étaient mis à la reproduction, ce qui, avec le temps, amène aux cochons que nous connaissons aujourd’hui.

Sanglier
Auroch, ancêtre du bœuf

L’exemple du chien est tout de même le plus étudié et le plus connu. Sa domestication a commencé un peu plus tôt que ses compères. Des restes de loups ont été trouvés près de tribus humaines datant du Paléolithique. Les contes veulent qu’une jeune louve, un peu différente des autres par ses oreilles tombantesson attitude joueuse et sa curiosité sans limite, s’est rapprochée de curieux bipèdes. Elle se serait intégrée en prévenant la tribu des attaques d’autres Hommes et en jouant avec les enfants. Ses adoptants auraient alors gardé ses louveteaux, ayant hérité de ses caractères morphologiques et comportementaux. Ici débuta la sélection de ceux qui deviendront nos fidèles compagnons à quatre pattes : les chiens[2]. Depuis, les époques se sont succédées et les chiens ont évolué avec elles, au grès des besoins de nos ancêtres.

Au Néolithique, les Hommes avaient besoin de chiens forts et courageux, qui protègent les champs contre les rongeurs, et les réserves contre d’éventuels ennemis. Ils ressemblaient à des mastiffs, de grands chiens imposants et forts. Durant l’Antiquité, tandis que les Romains utilisaient des molosses comme armes de guerre[3], les Égyptiens sélectionnaient des chiens athlétiques et rapides pour la chasse : les lévriers. Déjà à cette époque, deux types de chiens se distinguent par leur utilité : d’un côté les molossoïdes[4] pour les combats et la garde, de l’autre les graïoïdes[5] pour la chasse.

Chien dogue de Bordeaux, un mastiff (type molossoïde)
Chien greyhound, un lévrier (type graïoïde)

Nos ancêtres faisaient donc des croisements pour obtenir des animaux utiles, mais ils s’y sont rapidement attachés. Les animaux sont passés « d’outils » à « compagnons » en quelques siècles. Si l’Homme a gardé les chiens pour lui tenir compagnie, n’est-ce pas justement pour combler un besoin d’affection ? Aujourd’hui, nombre de chiens sont sélectionnés pour être de parfaits chiens de compagnie : joueurs, dociles, affectueux et intelligents. Une fois ce nouveau besoin comblé et conscientisé, certaines personnes se sont intéressées à l’apport des animaux domestiques dans le domaine de la santé, notamment mentale. 

Les animaux domestiques sont de plus en plus utilisés pour aider les professionnels de santé, des personnes en situation de handicap ou des personnes socialement isolées. Ils portent un nom bien particulier : les animaux médiateurs ! Ces animaux sont issus d’une longue sélection au niveau du comportement, mais doivent aussi recevoir une formation spécifique et adaptée à leur « futur métier ». Par exemple, un cheval médiateur qui travaillera avec des enfants handicapés devra être d’un sang-froid à toute épreuve et très doux. Un chien guide d’aveugle sera calme, concentré et obéissant pour remplir au mieux son rôle. Des animaux dans une ferme pédagogique ou en visite dans un EPHAD devront être tout aussi calme et doux, habitués aux bruits, à l’intérieur si nécessaire, aux gestes brusques, à être manipulés… Vous l’aurez compris, les principales qualités de l’animal médiateur sont le calme, l’obéissance et la douceur.

C’est un zoothérapeute qui devra le former, un professionnel de la santé ou du social, qui aura reçu une formation pour exercer la zoothérapie. L’Institut Français de Zoothérapie en donne une définition : c’est un ensemble de méthodes, appliquées à un individu ou à un groupe, qui visent à maintenir ou à améliorer le potentiel cognitif, physique, psychologique ou social via l’intervention d’un professionnel de la santé accompagné par un animal médiateur soigneusement sélectionné et entraîné. En bref, c’est une méthode de soin alternatif usant de la relation Homme/animal avec pour acteur : un animal médiateur, un professionnel et un patient ou groupe de patients.

Séance d'équithérapie
Chien guide d'aveugle
« La zoothérapie mise sur la réciprocité dont fait preuve l’animal médiateur et sur son potentiel de stimulation, de motivation de contact affectif, de guidance… » *
L’enfant et la médiation animale : une nouvelle approche de la zoothérapie, François Beiger, 2016, Editions DUNOD.

Prenons quelques exemples d’animaux médiateurs et d’interventions en zoothérapie. Les zoothérapeutes et leurs animaux médiateurs peuvent intervenir dans des EHPAD ou des centres hospitaliers, avec des adultes ou avec des enfants, avec des personnes en situation de handicap ou simplement un peu isolées. C’est la pluralité des interventions qui fait leur richesse. Des suivis sont effectués par les structures d’accueil, concernant principalement l’humeur des patients avant, pendant et après les visites des animaux. Et les résultats semblent être au rendez-vous ! Marie Lombard, médecin gériatre à l’EHPAD des Vergers de la Chartreuse à Dijon, souligne l’importance de la médiation animale pour les personnes qui ne communiquent pas ou plus verbalement. Chez les enfants non-communicants, les interventions ont des conséquences plutôt positives : les animaux les stimulent et les apaisent, certains cherchent même à communiquer avec l’animal, faisant des progrès moteurs considérables. En plus d’être positives et stimulantes, ces interventions soudent les équipes soignantes qui portent le projet, et les ateliers proposés apportent un autre type de relation entre soignants et patients.

Quelques vidéos pour illustrer ces propos :

Avec ces enfants poly-handicapés

Intervention en EHPAD

En centre hospitalier accueillant des adultes

Intervention en EHPAD

Dans le domaine de la santé, outre la zoothérapie, les animaux domestiques et plus spécifiquement les chiens, peuvent se rendre utiles autrement. Pour effectuer des dépistages de santé, par exemple. Le dépistage du cancer du sein par des chiens fait l’objet du projet KDOG, porté par une infirmière de l’Institut Marie Curie, Isabelle Fromantin, et une vétérinaire et éthologue de Maison-Alfort, Caroline Gilbert. Les chiens ayant un odorat bien plus développé que le nôtre, ils sont utilisés pour la détection de drogues et d’explosifs. Leur serait-il possible de détecter des tumeurs ? C’est à partir de cette question que le projet s’est construit. L’infirmière-chercheuse a tout d’abord montré que les plaies associées au cancer du sein émettaient une odeur spécifique : une odeur tumorale. C’est cette odeur qui est détectée par notre fidèle compagnon à travers la peau, si tumeur il y a. L’un des buts de ce projet est de rendre accessible et précoce le dépistage du cancer du sein, la mammographie n’étant pas adaptée aux personnes en situation de handicap et les centres étant parfois difficilement accessibles. Le programme KDOG n’est encore qu’en essai clinique, mais plusieurs chiens ont d’ores et déjà été formé et ont conforté le projet dans son hypothèse. Attendons les résultats en croisant les doigts et en envoyant des papouilles à ces chiens ! Pour suivre leur programme : https://kdog.curie.fr/.

Retrouvez ici deux petites vidéos explicatives du projet KDOG :





Socialement aussi, les animaux peuvent ouvrir des portes et servir autrement. C’est le cas, par exemple, à la ferme pédagogique de la Tour des Pins, à Marseille. C’est un véritable lieu de rencontre où des adolescents peuvent se découvrir à travers l’élevage de chèvres ainsi que la conception et la vente de produits laitiers.Nos animaux domestiques nous sont utiles à bien des égards, et ce depuis la nuit des temps. Ces dernières décennies de tests et d’expériences ont montré l’importance des interactions Homme/animal, en particulier pour les personnes en situation de handicap, socialement isolées ou atteintes de troubles psychologiques. Cette relation si unique que nous avons façonné depuis des siècles avec ces animaux leur permet de nous accompagner tous les jours et en tout temps Nous leur découvrons de nouvelles utilités de jour en jour : chiens dépisteurs, d’avalanche, d’explosifs, de drogues… et peut-être de COVID ! Un vétérinaire de Maison-Alfort a mis en place un protocole expérimental ayant pour but de former des chiens à la détection du virus[6]. Petit à petit, nous en venons même à leur confier nos vies… si ce n’est pas une marque de confiance, je ne sais pas ce que c’est !

Cet article vous a été proposé par Floriane MAZZELLA.

[1] Selon l’INRAP, l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives. https://www.inrap.fr/.

[2] Chapitre 1 « Petite et faible mais plus futée », Le plus Bel Ami de l’Homme, Patrick Pageat, 2019, Solar Editions.

[3] Chapitre 2 « Les dogues de Marius », Le plus Bel Ami de l’Homme, Patrick Pageat, 2019, Solar Editions.

[4] Se dit de chiens à tête et corps massifs, aux petites oreilles et au museau court, tels que les dogues, les mastiffs et certaines races de montagne. Larousse, dictionnaire en ligne.

[5] Se dit de chiens dont la tête, au crâne étroit, est fine et allongée. Les oreilles sont petites. Le corps est élancé, les membres fins, le ventre retroussé. Cirad, dictionnaire des sciences animales en ligne.

[6] Vidéo de présentation du projet de dépistage par : https://www.youtube.com/watch?v=g5r12Qbu1fs